Comme nous le disions dans notre article sur les conséquences de l’abandon pour le chien, ils sont environ 100 000 par an à subir ce sort en France – un chiffre évidemment beaucoup trop élevé. Cette fois, nous voulons aborder les deux questions suivantes : comment pouvons-nous lutter contre l’abandon et quel rôle chacun peut-il jouer ?
Faire appliquer la loi :
Avant 2015, le Code civil français accordait aux animaux domestiques le statut de « biens mobiliers ». Le Code pénal, lui, les définissait comme étant « capables de souffrance ». Leur statut juridique souffrait donc d’ambiguïté, les reconnaissant à la fois comme des « êtres sensibles » et des « objets » de propriété.
Le 21 janvier 2015, grâce à un long travail de lobbying des associations de protection animale, l’Assemblée nationale adopte un texte modifiant l’article 515-14 du Code civil. Depuis le 16 février de la même année, celui-ci indique bien que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». Pourtant, ils restent aux yeux de la loi considérés comme une « propriété ». Il semble que les règles juridiques ne prennent pas suffisamment en compte les avancées scientifiques liées à l’éthologie contemporaine.
En réalité, le premier problème tient au fait que les lois protectrices déjà existantes ne sont elles-mêmes pas appliquées. Par exemple, il est obligatoire qu’un chien soit identifié pour être vendu ou donné. Or cette obligation est peu respectée et l’État n’exerce aucun contrôle dessus. Les vétérinaires sont pourtant tenus d’inciter leurs clients à faire identifier leur animal – ce dans l’espoir de les responsabiliser. Hélas, même cette identification n’empêche pas les gens d’abandonner leur chien. La loi a beau l’interdire et le sanctionner lourdement (2 ans de prison et 30 000 € d’amende) au même titre que l’« acte de cruauté envers un animal », l’État ne la faisant pas appliquer, rien ne change.
En Allemagne, où il est obligatoire de déclarer son chien, les gens peuvent s’attendre à être contrôlés. Ils doivent alors présenter les papiers de leur animal. Davantage officiellement identifiés, les chiens sont moins abandonnés. De plus, en cas d’abandon, la sanction est appliquée. Tout cela a pour effet une réflexion plus importante avant l’acquisition d’un animal. En France, l’État devrait mettre en place des moyens de prévention pour faire prendre conscience aux gens que devenir propriétaire d’un animal constitue un véritable engagement.
Pour beaucoup d’acteurs de la protection animale, interdire la commercialisation d’animaux en animalerie pourrait permettre de limiter les achats compulsifs, qui mènent trop souvent à l’abandon.
Éduquer à la considération :
L’éducation de tous – et donc, l’enseignement – est un levier important pour faire évoluer les mentalités à l’égard des animaux. Leur statut moral devrait être davantage questionné, pris en compte, étudié… afin qu’une prise de conscience générale soit possible.
Pour Élisabeth de Fontenay, « l’appel à la compassion » ne permet pas de garantir le bien-être des animaux, engageant trop la subjectivité de chacun. Selon elle, seule la loi, par nature contraignante, permettrait d’améliorer les conditions de vie et la considération de l’homme envers l’animal. Et, selon elle, le fait même de pouvoir acheter un animal comme il est possible d’acquérir n’importe quel objet pose problème. En effet, « si l’animal est une propriété, peut-il être considéré autrement que comme un produit de consommation ? ».
Pour Peter Singer, c’est à force de sensibiliser les individus que les animaux disposeront d’un réel statut moral. À ce moment-là, les lois seront mieux respectées et appliquées. Il vaut mieux « qu’un soulèvement des consciences précède l’institution d’une législation ». Selon lui, si les gens étaient informés de la capacité de souffrance des animaux, ils auraient la possibilité, voire la volonté, de changer leurs comportements. La souffrance des animaux constituant, pour lui, la base de la position éthique et morale que les hommes doivent adopter envers eux, le recours au droit ne devrait pas être utile.
Beaucoup d’abandons viennent d’une mauvaise appréciation de ce que représente le fait « d’avoir un animal » en termes de responsabilité. L’éducation du futur maître est donc primordiale, afin que sa réflexion mûrisse avant l’acquisition et que celle-ci soit responsable – accord de tous au sein du foyer, choix du type de chien en adéquation avec son mode de vie, notions d’éducation canine, conscience des besoins et contraintes temporelles, spatiales et financières que cela implique…
Là, les personnes actrices de cette acquisition, comme les membres des associations de protection animale et les éleveurs, tous ont un rôle à jouer. Ils doivent évaluer la capacité du futur propriétaire à s’occuper de son animal, ainsi que la compatibilité de son mode de vie avec le type de chien choisi.
Les associations de protection animale tentent de limiter l’abandon par différents moyens. Ainsi, la Fondation 30 Millions d’Amis et la SPA mènent des campagnes nationales de sensibilisation à la réalité de l’abandon. Elles diffusent aussi, sur leurs sites Internet, des outils utiles aux maîtres et les informent, par exemple, des solutions de garde possibles pendant les vacances.
Identifier :
Comme nous l’avons dit précédemment, l’identification des chiens est obligatoire. Elle permet, en cas de perte ou de vol de l’animal, de pouvoir retrouver les coordonnées de son propriétaire sur le fichier national des identifications (ICAD). Malgré cette obligation – et les risques évidents pour l’animal de ne jamais être retrouvé s’il est volé ou perdu – beaucoup de gens ne le font pas. Ils n’y voient pas d’intérêt. Pourtant, l’identification de tous les animaux de compagnie permettrait de limiter les pertes, dans les cas de fugue notamment.
Stériliser :
La majorité des refuges stérilisent tous les animaux qu’ils accueillent : cela permet de « lutter contre la surpopulation animale » – et donc contre l’abandon. Car on évite les « portées accidentelles » qui conduisent souvent les gens à abandonner les chiots. On estime en effet qu’une chienne et sa descendance pourrait engendrer 67 000 chiots en 6 ans.
De nombreuses associations de protection animale aident les personnes qui ont peu de moyens financiers à faire stériliser leur animal. La SPA, par exemple, a mis en place des dispensaires. Par ailleurs, beaucoup d’associations font systématiquement identifier et stériliser les animaux avant de les faire adopter.
Adopter :
Adopter un animal auprès d’une association de protection animale – plutôt que de l’acheter à un éleveur ou dans une animalerie – permet de lutter contre l’abandon dans la mesure où l’on évite de participer financièrement au système, éthiquement discutable, de commercialisation d’animaux. Et, sur le site Internet de la SPA, plusieurs raisons sont avancées concernant l’adoption : la première est d’offrir « une seconde chance à un animal » qui a vécu une expérience traumatisante.
De plus, en adoptant un chien dans un refuge, on offre à un autre la possibilité d’y être accueilli… et peut-être adopté à son tour. Selon la SPA, cela sert non seulement la lutte « contre le commerce illégal des animaux » mais permet aussi d’exprimer l’idée que l’animal n’est pas un banal « produit de consommation » qu’il est possible d’acheter « comme n’importe quel autre ».
Une adoption réussie fait souvent des émules : c’est un beau plaidoyer qui encourage souvent d’autres personnes à préférer adopter plutôt qu’acheter. Certains refuges SPA proposent des cours d’éducation canine au maître et à son nouveau chien, pour garantir la durabilité de la relation et la réussite de l’adoption.
Apprendre et s’informer :
Pour finir, certaines solutions existent pour remédier aux difficultés d’éducation et de cohabitation, qui se révèlent souvent la cause d’un abandon. Beaucoup d’informations sont accessibles sur Internet, ainsi bien sûr que dans de nombreux livres. Et il est très encourageant de voir de plus en plus de gens avoir recours aux conseils d’un éducateur canin professionnel. Par ailleurs, il existe plusieurs solutions de garde pour animaux, lorsqu’il n’est pas possible de les emmener en déplacement avec soi.
La lutte contre l’abandon est difficile… et le restera tant que l’homme manquera de considération pour l’animal. Une prise de conscience générale est nécessaire. Car la législation – insuffisante – n’est ni respectée ni appliquée dans la majorité des cas. Le futur propriétaire de chien se doit de pousser sa réflexion pour bien prendre conscience de sa future responsabilité. L’arrivée d’un animal dans sa vie est un véritable engagement à long terme. Enfin, l’adoption en refuge est une très belle manière de participer à la lutte contre l’abandon, en sauvant la vie d’un animal.
Pour nous, sensibiliser le plus de personnes possible contre l’abandon est un devoir essentiel. Tout comme faire prendre conscience au plus grand nombre que l’animal n’est pas un objet, mais un être vivant, sensible, méritant la même considération que n’importe quel autre, humain ou non.
C’est pourquoi nous encourageons chacun à venir découvrir, dans les refuges, les chiens proposés à l’adoption. Ils n’attendent qu’une seconde vie de bonheur, aux côtés d’un nouveau maître, responsable.
L’application MyDogSociety a été créée pour cela : aider les propriétaires de chiens à bien vivre avec eux – en les promenant, en leur faisant rencontrer d’autres chiens, en échangeant et partageant autour de cette formidable aventure humaine et animale… Que jamais l’idée d’abandon ne les effleure. La communauté MyDogSociety est un beau témoignage de l’amour inconditionnel qui nous uni à nos chiens…
– A. Roy, « Papa, maman, bébé et… Fido ! L’animal de compagnie en droit civil ou l’émergence d’un nouveau sujet de droit » in B. Moore (dir.), Mélanges Jean Pineau, Montréal, Éditions Thémis, 2003
– C. Blanchard, Les maîtres expliqués à leurs chiens. Essai de sociologie canine, Paris, La Découverte, 2014.
– Entretien avec C. Pelluchon, Propos recueillis par N. Taïbi, « Vers un nouvel humanisme. Repenser le droit des animaux et la justice », Sens-Dessous, 2015/2 (n°16), p.77-88.
– J.-L. Labarrière, « D’une nouvelle loi relative aux animaux au retour d’un Ancien sur la scène juridique : Aristote et la définition de l’âme des bêtes », Sens-Dessous, 2015/2 (n°16), p.69-76.
– B. Cyrulnik, E. De Fontenay, P. Singer, Les animaux aussi ont des droits (Entretiens réalisés par K. L. Matignon, avec la collaboration de D. Rosane), Éditions du Seuil, 2013.